lundi 27 octobre 2014

Comment faire une BD : TP4 le Storyboard

Ce TP fait partie du grand non-cours "Comment faire une BD ?" Retrouvez ici le TP1 : Définir l'univers , le TP2 : Sujet et Structure et le TP3 : Personnages.
Pour ces TPs, la cible est une Mini BD en 3 planches.

TP4 : Le Storyboard


Ça fait des semaines maintenant qu'on trépigne d'impatience, qu'on crève de dessiner enfin les idées qui nous animent. Et bien le moment est venu. Attention cependant, il va falloir y aller petit à petit. Vous vous en doutez, imaginer une planche n'est pas chose aisée, qu'on soit scénariste ou dessinateur, c'est le cœur de notre passion que nous touchons du doigt. Pour que cette substantifique moelle porte notre histoire, nous allons l'édifier par étapes.
Notre plus bel outil est le storyboard.

Qu'est-ce que c'est le Storyboard ?
Un moyen d'exprimer l'action dans l'espace et le temps, avec des esquisses rapides (à priori) et efficaces (ça dépend de vous). Le Storyboard est utilisé pour la publicité, pour le cinéma, mais aussi pour les séries TV, l'animation et les jeux vidéos.
Concrètement, ça ressemble à ça :
Vives Balak
Évolution du storyboard d'une planche de Lastman - Balak & Vives


Étape 1 : Le découpage
Une version en noir et blanc avec des cases de même taille
secrets storyboard

Pour faire un storyboard, on s'appuie sur le script, texte qui décrit la chronologie des actions et surtout la continuité dialoguée. Selon sa précision, on va prendre plus ou moins de libertés pour le découpage par cases (certains scénaristes ont déjà tous les plans en tête et peuvent écrire des scripts très détaillés).
Certains auteurs expérimentés imaginent le découpage et le storyboard au moment même où ils écrivent le script : preuve que la représentation graphique a une importance aussi primordiale que le texte (lorsqu'il s'agit de récits en une page, il vaut d'ailleurs mieux réfléchir ainsi).

Voyons comment faire à travers un exemple : "La Marchande de Rêve et le client différent" (avec les personnages définis dans le TP précédent).

Mon script non découpé :
X, marchande ambulante avance sur un chemin à flan de colline. Des maisons clairsemées peuplent les environs. Elle annonce à la cantonade : "Cubes de rêve! Cubes de rêve fraichement sortis de la Fabrique!".
Depuis une minuscule cabane de jardin, une voix lui répond : "Oui! Par ici ! Je vous prends tout!". La personne (Y) disparait dans la cabane et X, pourtant dubitative, décide de la suivre.
La cabane n'est en fait qu'une porte donnant sur un escalier qui s'enfonce dans le sol. X pense "c'est immense là dessous" alors qu'elle descend parmi des étagères remplies de livres, des parchemins, des écrans lumineux.
Y : "Allez allez, dépêchez-vous, nous n'avons pas toute l'année !" dit la voix, toujours plus bas.
X : "Excusez-moi mais, sur ces écrans, ce serait... l'intérieur de la Fabrique??"
(cet instant du script semble être le bon moment pour instaurer un suspens, je vais donc en faire le dernier évènement de ma page : ce qu'on appelle un Cliffhanger)


Mon découpage guidé par le script



Case 1 : X, marchande ambulante avance sur un chemin à flan de colline. Exposition et mise en contexte : il faut réserver une bonne place à cette case : on va choisir une case ample et un plan paysage large. L'héroïne annonce ce qu'elle vend.
Case 2 : "Oui! Par ici ! Je vous prends tout!". Un nouveau personnage intervient. Cependant nous n'avons pas encore vraiment présenté X la marchande, car le plan case 1 était large ! On doit donc voir X avant de présenter Y qui n'est pas notre personnage principal : plan rapproché de X interpellée par la voix qui lui répond.
Case 3 : "Y disparait dans la cabane et X, pourtant dubitative, décide de la suivre." Nous devons voir la cabane et le personnage y disparaître. Comme nous suivons X depuis deux cases déjà, elle sera dans le champ dans une vue à la 3ème personne, pour que le lecteur se mette à sa place (on commence à créer de l'empathie).
Case 4 & 5 : La cabane n'est en fait qu'une porte donnant sur un escalier qui s'enfonce dans le sol. Il s'agit d'une étape descriptive dans laquelle nous changeons de lieu. Pour insister sur la distance parcourue par l'héroïne dans le décors, on va étendre sa descente sur 2 cases de plan large.
Case 6 : "La voix toujours plus bas." On va commencer à évoquer le personnage Y qui sera plus présent dans la suite : vue plongeante sur Y parmi les livres.
Case 7 : "sur ces écrans ce serait... l'intérieur de la Fabrique" on doit montrer l'intérêt de X pour l'intérieur de la Fabrique, pour faire comprendre au lecteur qu'il s'agit d'un lieu secret ou du moins peu connu : plan rapproché de X. (Fin de la première page)


La plupart du temps, je néglige cette étape que je réalise en même temps que l'étape suivante (mauvais bougre que je suis!). Cela permet néanmoins de faire évoluer les dialogues en fonction de la mise en scène.


Étape 2 : le gaufrier
Une version d'agencement des cases avec les tonalités principales et le texte
astuces storyboard

Dans cette version, on s'attarde plus sur la perspective et l'enchaînement des plans. Les cases sont proportionnées selon leur importance et leur impact. On incorpore ici les bulles avec le texte, ce qui influence grandement l'équilibre des cases, leur rythme et leur composition. Autant dire que c'est là le plus dur de la tâche.
Astuce : imaginer la scène qu'on va représenter comme un lieu réel, qu'on filmerait en s'y déplaçant : les prises de vue doivent donc être cohérentes entre elles . Pour s'aider à trouver le bon angle de vue pour une scène ou à trouver du liant entre les cases, construisez-vous une maquette! Il y a forcément chez vous une boîte de Lego prête à vous aider!
Même lorsqu'on change de lieu, la transition peut être amorcée habilement par un fil directeur, qu'il soit textuel ou visuel.
Liaison par un élément de l'image (the Fat Lady) et par le cadrage - Killing Joke / Alan Moore
Liaison par un mot du dialogue ("Laugh") et par le cadrage - Killing Joke / Alan Moore


Le rythme, le temps :
Certaines cases jouent avec le temps : dans l'exemple ci-dessous, de longues secondes sont nécessaires pour que les deux personnages échangent autant de mots. Cependant une seule et même image illustre le tout, opposant paradoxalement le temps du dialogue et celui de l'action. C'est ce décalage qui (à mes yeux) ajoute au comique du texte lui-même.
Planche de Marchalot - Extrait de Professeur Cyclope #17
Astuce : lire à voix haute la planche qu'on est en train de dessiner permet de prendre du recul et d'apprécier le rythme qui s'en dégage.

Mon découpage guidé par l'importance des cases
Case 1 : Exposition : grande et large case.
Case 2 : X interpellée : pour guider le regard du lecteur vers les cases de la ligne suivante, on va orienter le personnage avec son bras vers la gauche. X sera donc représentée plutôt de dos avec le visage de profil.
Dans la case 3, Y disparaît dans la cabane. Le pas est un peu grand entre case 2 et 3, nous allons donc faire le lien en ajoutant une case de transition qui sera aussi l'occasion d'enrichir leur dialogue :
Case2 bis : Plan panoramique avec X qui s'approche de la cabane où on aperçoit Y. Elle annonce : "Rêves de gloire, rêves de richesse? Il me reste aussi quelques rêves d'amour." Y répond "Aucune importance, je vous prends tout!"
Case 3 : Y disparaît dans la cabane. Pour traduire la surprise de X vue de dos, j'ajoute (en cadeau) une bulle où elle se demande "Tout?".
Case 4 & 5: nous avons 2 cases pour décrire un décors à travers lequel notre personnage se déplace. C'est l'occasion de réaliser une continuité : on dessine ces deux cases comme une seule et même vue. On insiste ainsi sur le temps passé à traverser les lieux. On place X dans chacune des deux cases pour montrer qu'elle parcourt tout l'espace.

Exemple : ici il y a implicitement 3 cases continues qui se succèdent dans le même décors.
Calvin & Hobbes par Bill Watterson

Case 6 : On donne ici un aperçu du lieu où va se dérouler la suite de l'histoire, cependant l'image est moins importante que la suivante, qui marque le suspens de fin de page.
Case 7 : Pour pousser à la tourne de page, on peut orienter l'image vers l'angle en bas à droite.

Pour ma part, je réalise ces essais de storyboard en "format minuscule" :
          - impossible de se perdre dans les détails
          - plus rapide à dessiner : on gagne du temps
          - on peut donc en faire plusieurs pour arriver à une version qui nous convient
          - plusieurs planches tiennent sur une même feuille, ce qui permet une vision d'ensemble

gaufrier la fabrique
Les petits carreaux? C'est pour retrouver facilement les bonnes proportions pour la page réelle, voyons.

Une fois votre décision arrêtée sur une mise en page, il ne reste plus qu'à passer à l'encrage, ma phase préférée. On fait un crayonné qui va encore faire évoluer la page :
Puis on encore du mieux possible :

On peut voir que la planche a bien évolué au cours du storyboard :


Voilà, notre planche est prête à être colorisée! (Je vous montrerai ce que ça donne dès que c'est fait)



La suite, est à venir très vite, à un clic d'ici : TP N°5 : Composition et cadrages

Tips sur le cadrage par Griz and Norm


Il y a également ici un TP annexe avec des Astuces et trucs de dessin

http://lepueblo.blogspot.com/p/blog-page_18.html



Merci d'avoir suivi ce long non-cours "Comment faire une BD",  pour ma part, j'ai appris nombre de choses que j'ai hâte de remettre en pratique dans mes futurs projets.

Pour aller plus loin :
- Vous pouvez lire les supers articles de Belzaran sur le storyboard (ici) et le découpage (ici) qui contiennent des exemples concrets très parlants.
- Vous pouvez aussi aller voir ce riche sujet sur Café Salé où des storyboard sont critiqués et corrigés.

Nota bene : Si vous avez des éléments qui peuvent compléter ce non-cours ou des critiques constructives, je serai heureux de les intégrer ici.

Pueblo.